DES PLANS DE VILLES
Je confesse une passion pour les plans de ville. Je les trouve tout à fait fascinants. Il me semble qu’ils en disent autant sur une ville, voire sur le pays qui l’a façonnée, que bien des écrits savants. Longtemps, j’ai décoré les murs de mes logements avec les plans que j’avais, là-bas, remué dans tous les sens : Venise, Bangkok, Prague, Montréal, Istambul, Singapour, Khartoum… Je me souviens des plans minuscules, sommaires et terriblement émouvants de Rangoon et de Kutching : quelques rues, trois points de repère, un fleuve… ces villes ont prodigieusement évolué ; si j’y retournais avec les plans d’alors je serais irrémédiablement perdue bien sûr. Mais lorsque je les regarde je retrouve tel petit détail, un incident, l’allure d’une maison qui me plaisait, des odeurs et des bruits, surtout des bruits peut-être. Avant le départ j’ai longuement rêvé sur les plans, m’imprégnant peu à peu d’une certaine conception de la ville. Pendant le voyage, je les ai examinés à la recherche d’une rue se dérobant à ma vue, d’une logique qui m’échappait. Je les ai montrés à des passants souriants ou indifférents, provoquant, dans certains coins du monde, une perplexité gênée. Au retour, je m’en suis nourrie pour revivre ces moments là, faire le compte de tout ce que je n’avais pas exploré, qui justifiait le projet d’y retourner. Toujours, à un moment donné, le plan se transforme. Il était un objet neutre et froid, ensemble de lignes incompréhensibles. Soudain, il devient photo fidèle : tout s’emboîte, tout fait sens, et je comprends la ville.