UNE SILHOUETTE
Plus qu’à un poids, en rapport avec une taille, on est, je crois, attaché à une silhouette. Toute ma vie, j’ai été une gamine, une jeune fille, une femme, longue et mince. Une forme élancée, aux membres interminables, aux doigts et aux pieds aigus, au ventre plat, au long cou. J’ai tout entendu : la grande gigue, la géante, la grande sauterelle… Sur les photos de classe, direction la rangée du fond. On s’est moqué, on m’a enviée, on m’a plainte ; je n’ai rien cédé de mes centimètres, droite comme un i, la tête au-dessus de celles des autres dans les autobus. A 6 ans, à 13, à 30, à 45 : longue et mince. Maigre plutôt, jusqu’à la naissance de ma fille et le plaisir de la vie à 3, qui m’ont étoffée. Quelques kilos de plus, pas grand-chose. Manger de tout, ne se priver de rien, et rester mince. On s’habitue, on s’identifie à cette silhouette-là, qui devient évidence. On ne peut être soi sans elle. Et voilà qu’avec l’âge (et, lâchons le mot, la ménopause) le corps soudain me trahit, se transforme sans crier gare. Dans la glace : une inconnue. A qui sont ces seins de rêve, ce cul qui fait remonter la jupe, ces hanches de matrone, ce ventre de dondon goulue ? A qui ces bras gras et… mais oui, ces joues rebondies ? Je ne suis plus moi.